Où fabriquez-vous vos spectacles ?
M : Dans des théâtres, et aussi dans des universités, des centres sociaux, des laboratoires de recherche, des écoles, des centres d’apprentissage ; et aussi dehors, en marchant.
B : Notre objet de recherche nous entraîne sur le terrain, dans des lieux propices à la rencontre de personnes incontournables a posteriori (après coup). Et c’est cette recherche qui devient l’objet de nos spectacles.
Pourquoi n+1 ?
M : Je crois que j’ai oublié… Notre premier spectacle s’appelle Le t de n-1.
B : Dès le départ ça pouvait prêter à confusion… Le projet était de fabriquer un spectacle qui s’appellerait Le t de n+1. Et on a commencé par faire Le t de n-1.
M : Le t de n-1, c’est le temps qui précède, le moment juste avant l’action.
B : Alors pendant longtemps on nous a appelé « les t de n ». Quand Léo a quitté le noyau permanent des n+1, on a hésité à nous rebaptiser nous-même « les n-1 ». Mais ça aurait définitivement semé le trouble.
M : Peut-être que ce n+1 parle de nos modalités d’écritures collectives, avec une variable n de collaborateurs, et toujours un +1 au prochain virage.
Vos spectacles sont plutôt engagés ou engageants ?
B : Engageants j’espère ! En tout cas notre principe a toujours été d’essayer d’entraîner nos partenaires de jeu, qu’ils soit élèves, professeurs, scientifiques, et le public en dernier ressort, de les entraîner en tant que chercheurs potentiels. Dans ce sens ils seraient plutôt engageant. Et peut-être engagés, parce qu’à force de se poser des questions sur le monde…
Où se situe le drame psychologique dans votre dernier spectacle ?
M : En 2019, le groupe n+1 créait L’école du risque. En 2020, nous n’avons pas encore réussi à pénétrer les cursus académiques.
B : Nous avons découvert récemment que la CIA avait introduit des administrateurs zélés dans l’administration russe pour paralyser le système. Comme si le meilleur moyen de bloquer une organisation serait de faire respecter à la lettre son règlement ! Pourrait-on alors le débloquer en appliquant le principe inverse ? N’être à cheval sur aucun principe ? Pour mieux réussir à les défendre ? C’est un bon exemple d’un paradoxe de l’action, et du drame psychologique qui se joue dans le feu de l’action : va-t-on réussir à ce que les paradoxes dans lesquels nous nous trouvons (puisque nous ne sommes jamais à l’abri d’une contradiction) deviennent enfin moteur ?
Êtes-vous définitivement attachés au monde de la recherche ?
M : Oui, attachés au totem de la recherche. Avec le plaisir de trouver, avec d’autres, des solutions à des problèmes nouveaux. Comme dirait Léo, si tu cherches, tu t’ouvres.
B : On s’est attachés, à de vraiment belles rencontres. C’est un monde peuplé de chercheurs de tous poils comme on à l’habitude de dire. Et il y a un principe étonnant qui se vérifie à l’usage : quand on cherche un chercheur, même si on pourrait douter de son existence, eh bien on finit par le trouver. Ça marche vraiment à chaque fois, il faut y croire.
Quand on vous dit jeu, à quoi vous pensez ?
M : Ce petit espace de liberté qui permet le mouvement. Et quand il n’y a pas de jeu, ça coince.
B : C’est de là qu’on tire notre énergie. Un peu comme en physique, il y a une différence de potentiel électrique, une tension entre deux choses écartées l’une de l’autre. Et s’il n’y a pas ce petit écart, ce petit jeu, on est collé – il y a pas de tension, pas d’énergie. L’excitation du jeu c’est ça, s’inventer quelque chose d’imaginaire pour pouvoir (avec la petite distance) le prendre très au sérieux, s’y croire et le faire. C’est de là que vient l’étincelle.
Vous n’avez jamais monté Le Misanthrope. Pourquoi ?
M : Pour la même raison que celle pour laquelle je ne suis finalement pas devenu plombier, je me suis intéressé à d’autres affaires.
Clémence Gandillot existe-t-elle vraiment ?
M : Oui, et il en existe même plusieurs. Clémence Gandillot est une légende en plus d’être une personne, elle est celle qui s’autorise à se poser de trop grandes questions, et à néanmoins y répondre par ses propres moyens : une utopiste.
Au fond, qu’est-ce que vous cherchez ?
M : Aujourd’hui, 19 avril 2020, je réponds : l’autonomie radicale.
B : Cinq jours plus tard : créer une action imaginaire qui aurait raison du réel.
Quel rapport entretenez-vous avec le monde des idées ?
M : Un rapport amoureux.
B : Amoureux je suis d’accord. Mais peut-être ce sentiment s’accompagne aussi d’une légère méfiance… On pourrait rester coincé dans le monde des idées ! À un moment en tout cas la dimension empirique prend le pas. Il faut réussir à lâcher ses idées, ce qui est pas toujours simple, on s’y est attaché à force, au fur et à mesure de leur lente élaboration. C’est fascinant en tout cas d’observer comment elle prennent corps, en se transformant.