À DISTANCES

7 pièces brèves pour 2 interprètes et dispositifs scéniques visuels et sonores.

Un homme seul en scène – avec l’aide de son servant – agit sur des dispositifs poétiques qui produisent tout autour de lui des évènements visibles et sonores. Certains sont accompagnés des mots de Paul Valéry ou de Jean-Pierre Brisset.

Il a, à portée de regard, un monde à sa mesure ; tout un monde d’événements en attente qu’il peut déclencher et animer, retenir et arrêter ; un monde en suspens à portée de la main qu’il semble pouvoir contrôler ; un monde-réservoir de faits, plein de surprises et d’attentes, de prévisions réalisées (de prévisions déçues aussi), avec quelques catastrophes possibles…

 

À Distances a été créé en 2002 et n’a jamais cessé de tourner, avec plus de 200 représentations, en France et l’étranger.

Une version Africaine du spectacle a été créée en 2007 à Ouagadougou au Burkina Faso, suivie d’une tournée en Afrique de l’Ouest.

VignetteADistances

À Distances a été créé en mars 2002
au Vélo Théâtre à Apt.

Durée : 80 min

Équipe

un spectacle conçu et interprété par Jean-Pierre Larroche
écrit par Benoît Fincker, Jean-Pierre Larroche, et Thierry Roisin

mise en scène : Thierry Roisin
lumière et son : Benoît Fincker
assistant à la mise en scène : Balthazar Daninos
avec sur scène : Jean-Pierre Larroche et Marion Lefebvre

Jerémie Garry a participé à toute la création du spectacle et à son exploitation jusqu’en 2007 comme acteur, constructeur et régisseur.

musique de la pièce n° 4 : Michel Musseau
costumes : Jacotte Sibre
collaboration à la réalisation : Anne Ayçoberry, Jeanne Gailhoustet,
Pascale Hanrot

réalisation des images multimédia : Nelly Maurel et Mathieu Simon
caméra : Christian Merlhiot

régie générale : Benoît Fincker

fabrication du dispositif : Les ateliers du spectacle
avec l’aide de : François Bancillon, Sylvain Georget, Vincent Guillot,
Salvatore Stara

Avec l’aide amicale de Christian Narcy (Société Les Ateliers du Spectacle),
du Théâtre du Soleil, de Julie Bernard, Madame Chion, Jean Michel Marchais,
Daniel Michel, Napo, Sylvie Papandréou, Gérard Pistillo

Partenaires

À Distances est coproduit par :
les compagnies Les ateliers du spectacle et Beaux Quartiers
le Vélo Théâtre à Apt, Massalia Théâtre de Marionnettes à Marseille,
le Théâtre de Cornouaille à Quimper

 

La reprise du spectacle à Paris en 2003 au Théâtre de la Cité internationale bénéficie du soutien du Théâtre de la Marionnette à Paris, de l’ADAMI et du THECIF

7 pièces brèves :

1. Le bruit des choses dites, théâtre sonore
2. Figure
3. Considère la surprise
4. La queue ose et les faits, aventure cinématographique
5. Like birds I’ the cage, armoire à phonèmes, d’après William Shakespeare
6. Figure
7. Débrouiller la durée, extraits du journal de Paul Valéry
Durée des 7 pièces : 80 minutes

Une 8ème pièce peut être donnée hors du plateau :

Un traité pratique d’action à Distance autour du site internet de Philippe Racherol.
présenté par Benoît Fincker
images multimédia : Nelly Maurel et Mathieu Simon
Durée : 15 minutes

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site de Jean-Pierre Larroche

Calendrier

passé

avenir

Revue de presse

L'Est Républicain - 15 novembre 2007

DES DISTANCES MILLIMÉTRÉES

Les cents spectateurs assis sur les gradins du théâtre ont été subjugués. Petits et grands ont retenu leur souffle, ont ri devant l’incongruité des situations, puis ont applaudi généreusement. Le charme a opéré. Pendant une heure vingt, ils ont suivi Jean-Pierre Larroche dans les dédales des fils de la magie poétique et philosophique.

Une pelote de laine se déroule à distance. Un valet en livrée lance un son dans un pavillon de phonographe. Des fils invisibles manipulent une machine infernale. Les assiettes tiennent en équilibre sur des tabourets aux pieds branlants puis se cassent sous la caresse d’une plume. Un minuscule drapeau blanc s’agite pour demander l’arrêt du massacre. L’artiste “s’autoportrise” en clones avec des pinceaux géants ou un rouleau de tapissier. La carafe téléguidée à distance s’épanche vers le verre sur le postulat de Valéry : “Notre vie est entièrement fondée sur l’anticipation des événements”.

À Distances se produit pour la cinquième année consécutive. Concepteur et réalisateur, Jean-Pierre Larroche joue son spectacle pour la première fois. Il le définit comme un théâtre de phénomènes : “Les objets sont des forces vivantes reliées aux acteurs qui les mettent en acte. Dans la scène de l’armoire à  phénomènes, le choix des objets est au service de la mécanique du langage. L’ensemble des tabourets qui se cassent la figure ressemble aux familles qui subissent les accidents de la vie.”

Jean-Pierre Larroche aime Queneau, Perec et Francis Ponge. Ils l’ont nourri. Architecte de formation, la plastique picturale fut son point de départ. L’intuition a fait le reste. Les machinistes de théâtre, qu’il surnomme les manipulateurs de l’ombre, le fascinent. “Tout est dans la manipulation des cordes, des fils, des tringles, et au bout, le spectacle”. Tel est ce magicien, qui opère au millimètre près.

Westdeutsche Allgemeine Zeitung - 30 septembre 2006

UN ESPRIT SUBTIL COMME PAR LE PASSÉ
traduction de l’allemand : Hélène Larroche)

Un labyrinthe déconcertant de possibilités que seul lui, le maître des possibilités, arrive à transpercer.
(…)
Quand l’extraordinaire artiste et esprit subtil cite à la fin un texte de Paul Valéry, le champ d’expérience de Larroche quitte définitivement les baraques de kermesse dont il semble issu et se hausse vers un univers lyrique qui n’a plus besoin de feuilles de calendrier. Sans aucun doute, le point culminant de toutes les Fidena jusqu’alors

Ruhr Nachrichten - 29 septembre 2006

PITIÉ POUR L’ESCABEAU QUI TOMBE
Ronny V. Wangenheim (traduction Hélène Larroche)

Peut-on encore étonner des adultes ? demande Annette Dabs au moment de l’ouverture du Fidena. Oui, on peut.

Du moins si on s’appelle Jean-Pierre Larroche et qu’on éprouve un plaisir profond devant les objets, ceux de l’inattendu et du hasard. Avec raison on l’appelle le maître de cérémonie du théâtre d’objets.
(…)
Grandiose.

Il Messagero - 4 juin 2006

Mirella Caveggia (traduit de l’italien par Anne Paschetta)

[…] Parmi  les excellents spectacles, deux nous ont marqué : À Distances de Jean-Pierre Larroche, sept brefs épisodes pris dans un jeu mécanique et poétique d’objets, d’une originalité encore jamais vue. […]

Les Inrockuptibles - 12 mars 2003

UN SONGE AU BOUT DU FIL
Fabienne Anvers

Illusionniste ou manipulateur, Jean Pierre Larroche condense en poésie brute toute la distance qui sépare la réalité du rêve. Renversant.

Comme chaque fois qu’une découverte nous bouleverse (au sens euphorique de la renverse), les mots nous manquent, les mots sont pauvres. Étriques. Si je vous dis que Jean Pierre Larroche est manipulateur – scénographe, architecte, c’est selon… -, vous associez illico cela au marionnettistes ou au théâtre d’objets (et là on sent le spectateur averti).

Mais Jean-Pierre Larroche est un cas, donc inclassable. En un peu plus d’une heure, nous aurons vu une drôle de machine, récalcitrante à mélanger liquides et solides, manipulée à plus de quatre mètres de distance sans qu’un seul fil ne s’embrouille, les tabourets des sept nains crouler, se dandiner ou s’affaisser sous des piles d’assiettes et une plume échappée de Walt Disney, deux autoportraits géants peints en live, chorégraphie coulante et écroulante, où la géniale course-poursuite entre Larroche et son double miniature, image filmique se glissant dans les airs, s’accrochant au moindre support – feuille blanche, habits ou bloc de glaise… Et chaque fois, Jean Pierre Larroche aura conjuré le mauvais sort réservé aux illusionnistes en réfutant sous nos yeux la sacro-sainte loi de la cause et de l’effet. Résultat : à force de déjouer notre attente, il la comble d’autant mieux.

Dans la distance, c’est moins l’éloignement qui compte que la tension exercée entre les points de départ et d’arrivée. C’est même là que tout se joue : le mouvement ou la fixité, le déplacement ou l’immobilité. C’est avec ce genre de remise en cause des présupposés les plus logiques que Larroche nous enchante durant les sept tableaux qui composent son nouvel opus, À distances.

Qu’y a-t-il de si extraordinaire dans ce spectacle, mis en scène par Thierry Roisin, vieux complice de Larroche, déjà appelé à de futurs développements et dont chaque tableau supplémentaire sera à nouveau l’occasion d’une collaboration avec un artiste (compositeur, auteur, plasticien, photographe…) ? La vérification, par le renversement, de la définition de l’humour selon Bergson : du mécanique plaqué sur du vivant. Avec Larroche, ça donne : du vivant plaqué sur du mécanique.

De la poésie brute, voilà ce qu’il fait avec son armoire à phonèmes (des étagères remplies d’objets) : car, ce rébus visuel qui nous restitue carrément une tirade du roi Lear de Shakespeare nous a fait découvrir l’objet synonyme. A l’inverse des mots, cet objet répond à des phonèmes différents, pour le même sens, selon le son dont a besoin notre homme. Un exemple parlant, voire édifiant : un sexe d’homme fièrement dressé sur ses fibres végétales répondra, selon le cas, aux phonèmes “bite”, “queue”, “vit”.

Rien que pour ça, on perd toute distance, tout sens critique. Larroche, maintenant qu’on l’a découvert, on ne va plus le lâcher…

Le Monde - 11 février 2003

COUP D’OEIL CRÉDULE DANS L’IMAGINATION FERTILE D’UN MAGICIEN DU SOUPÇON
Brigitte Salino

Jean-Pierre Larroche peint son visage pour vous regarder dans les yeux. Le soupçon de magie est inhérent au théâtre. Ce n’est pas pour rien que, longtemps, on excommunia les comédiens, qui étaient enterrés de nuit. Mais quand on voit A distances, au Théâtre de la Cité internationale, on se dit que le soupçon de magie est une faribole en regard de la magie du soupçon qui rend ce spectacle unique de quoi envoyer son auteur. Jean-Pierre Larroche, non en enfer, mais dans des limbes éternels. Ce qu’il fait sur scène est si étonnant qu’on s’épuiserait en vain à vouloir le relater d’une manière rationnelle.

Pour en avoir une idée, il faut imaginer que vous entrez dans la chambre secrète d’un homme, et que cette chambre, par magie, justement, a le pouvoir de faire naître et vivre ce qu’il y a dans la tête de cet homme. Et cela n’est jamais loin de l’enfance, avec ses étonnements devant les objets, le langage et soi-même, tous ” à distances “.

Mais à distance de quoi ? Telle est la question que pose Larroche, architecte et sténographe, associé au metteur un scène Thierry Roisin. Pour mettre les spectateurs en condition, il leur est demandé de regagner la salle via un parcours sinueux le long de rideaux noirs. Puis ils s’asseyent, face à la scène habitée par une foule d’objets des lampes, une armoire et des tabourets, sur lesquels sont posées des assiettes.

Arrive un homme vêtu à la manière Grand Siècle, qui souffle dans une longue corne. C’est l’aide du magicien, Jean-Pierre Larroche, tapi dans le noir, et bientôt occupé à toutes sortes de manipulations dont vous ne vous rendez pas toujours compte. Parce que vous, sur vos gradins, vous voyez un tabouret dont un des pieds se met à chanceler, jusqu’au moment où l’assiette posée sur son assise tombe. Sans se casser. Et voilà le tabouret qui plie ses pattes, cherche à récupérer l’assiette, puis reste là, à la regarder, car ce tabouret a l’air tout à fait animé. Évidemment, c’est vous qui le voyez comme cela, parce que Jean-Pierre Larroche, qui manipulait des fils invisibles a réussi à vous faire entrer dans son imagination.

Il a la tête fertile, cet homme-là, qui maintenant peint son visage, en direct sur un grand panneau blanc, avec des pinceaux tenus à bout de bras, tandis qu’il se regarde dans une toute petite glace comme on en mettait au-dessus des éviers, à la campagne, pour se voir un peu mais pas trop (c’était péché). Il est aussi capable de vous faire entendre une réplique du Roi Lear en faisant sortir les mots de Shakespeare d’une armoire (il faut le voir pour le croire). Et puis, il sait discuter avec une carafe et un verre d’eau qui ont lu le Journal de Paul Valéry. En plus, il a un double, minuscule et filmé, et c’est incroyablement drôle, la bagarre qu’il lui livre. Ne serait-ce pas la bagarre d’un homme qui voudrait se tenir à distance et qui finit par nous regarder droit dans les yeux ?

La Croix - 08 février 2003

JEAN-PIERRE LARROCHE, ARCHITECTE DE LA BRICOLE DE GÉNIE
Didier Méreuze

Prendre ses pieds. Traverser le parc d’entrée. Pénétrer dans le hall. Se diriger vers le bistrot-restaurant du théâtre où fume la soupe maison, comme tout le reste de la carte (délicieuse initiative !). S’arrêter cependant sur le seuil (1). Repérer la double ligne sans pointillé au sol qui suit les escaliers, tourne à l’étage, se prolonge le long de la mezzanine pour aboutir à une grande salle ; se perdre dans le noir et s’achever au pied des gradins. S’asseoir. Et voir.

Mais quoi ? Un spectacle ? Une rêverie ? Une invention ? Tout cela à la fois, et bien plus encore sans qu’on puisse résumer en un mot cette dernière création de Jean-Pierre Larroche, qui ne correspond à rien de connu. En sept séquences, mises an scène avec la complicité de Thierry Roisin, cet architecte scénographe bricoleur de génie invite au voyage dans l’ordinaire des objets devenus extraordinaires par le seul effet de son imagination. Accompagné d’un “technicien du spectacle” transformé, pour l’occasion, en valet muet, il joue “à distance” des filins et des poulies réunies en des machineries aussi savantes que bizarres. Des assiettes se brisent. Un coucou lance d’une horloge son cri intempestif.

L’incongru est de rigueur. L’absurde est au rendez-vous. En apparence du moins car, de tabouret qui croule en buffet vitré pour figurines banales qui ramènent au roi Lear, un curieux rapport de l’homme au monde se dessine. Rapport à la matière qui échappe, tout en accidents et en surprises. Rapport aux autres, et même à soi alors que, comédien de chair sur le plateau, Jean-Pierre Larroche se confronte à sa propre image vivante projetée en réduction… C’est bref, C’est vif. C’est inattendu. Durant une heure et quelques trop courtes minutes, l’art de l’imaginaire se confond avec l’art poétique.

(1) Ne pas manquer de revenir au bistrot-restaurant du théâtre après le spectacle, pour goûter la soupe maison. Jean Pierre Larroche et Jérémie Garry y proposent alors un impromptu pour petites marionnettes et castelet sur le thème du rat (et de bien d’autres choses !) à partir de textes de Jean-Pierre Brisset," facteur cheval” du langage célébré par les surréalistes.
Libération - 04 février 2003

LES BONNES DISTANCES
René Solis

Ce que Jean-Pierre Larroche parvient à isoler, c’est l’essence même de l’acte de création.

Soit un homme assis tout au bout d’une longue table. Une carafe d’eau et un verre sont posés à l’autre extrémité. L’homme a soif. Il ne veut pas ou ne peut pas se lever. Étant donné qu’il ne dispose d’aucune aide extérieure, comment doit-il s’y prendre pour : a) remplir le verre ? b) l’amener jusqu’à ses lèvres ? C’est sur cette expérience amusante que Jean-Pierre Larroche, architecte, scénographe et plasticien, conclut À distances, spectacle en sept épisodes mis en scène par Thierry Roisin.

Humour. Pour les spectateurs, le plaisir se situe à plusieurs niveaux. Comme avant les numéros de prestidigitation, on sait qu’il va y avoir un truc sans deviner lequel. Larroche n’étant pas magicien, il offre assez vite la solution : il suffit de quelques fils dans les mains d’un manipulateur expert. Le suspense change donc de nature : on passe du « Comment va-t-il faire ? » au « Pourvu que ça réussisse », de la perplexité à la crainte de l’accident (« Tombera, tombera pas ? »).

Mais il n’y a pas que l’avancée du verre sur la table qui mobilise l’attention. Tout en regardant, on écoute un extrait du Journal de Paul Valéry, où l’écrivain réfléchit sur le temps et sa conscience : « Quand un choc me renverse, je me divise. Je suis d’une part celui qui tombe ; je suis aussi celui qui pouvant, ayant pu, ne pas tomber mais résister, éviter, ne conçoit pas cette chute. Je n’avais pas vu ; donc pas prévu – c’est un effet sans cause. (…) On ne peut pas s’attendre à tout. Soit que j’oppose une résistance, soit que je la subisse. Je ne suis qu’attente et détente. » Du texte ou de la manipulation, impossible de dire lequel illustre l’autre. Reste un climat d’humour et de tension qui est la marque de tout le spectacle.

À distances est conçu comme une exploration de l’intervalle entre l’effet et la cause. Le plus souvent au fond du plateau, l’artiste – le marionnettiste -, Larroche lui-même, tire les ficelles d’un espace d’apparence chaotique où l’on remarque, parmi beaucoup d’autres objets, des assiettes et des tabourets. Il est parfois aidé d’un serviteur aussi silencieux que stylé, en livrée dix-huitième (Jérémie Garry). Les assiettes se brisent, les tabourets s’effondrent selon des critères qui, bien que prévisibles, n’en font pas moins rire petits et grands. Ce que Larroche met à distance, c’est l’intention et l’action. Et ce qu’il démontre, très simplement, en une série de manipulations qui font aussi appel à la peinture, à la vidéo, à l’amplification sonore, c’est que seul ce décalage peut déclencher les ressorts poétiques, tragiques, comiques propres à l’œuvre d’art.

Temps. Il n’entre dans sa démonstration ni pédanterie, ni virtuosité gratuite. Présent sur scène, c’est du travail de l’artiste, donc de lui-même que nous parle Jean-Pierre Larroche, sans quasiment passer par les mots. Artisan-explorateur, il avance sur un fil qui traverse les apparences. Il rejoint en cela d’autres inclassables – Bruno Meyssat et son Théâtre du Shaman, Grand Magasin -, aussi marginaux qu’essentiels.

Ce que Larroche parvient à isoler, c’est l’essence même de l’acte de création, en le soustrayant à ce que nous croyons être le cours naturel du temps. Valéry toujours : « Puisque les choses changent, c’est donc qu’on ne les perçoit qu’en partie. On appelle temps cette partie cachée, toujours cachée, de toute chose. » Cette partie « toujours cachée », c’est aussi la raison d’être du théâtre. Au fait, À distances dure une heure et vingt minutes. « Incroyable, disait l’autre soir un spectateur en sortant, j’aurais juré que c’était une demi-heure. » CQFD.

La Terrasse - 01 février 2003

JEAN-PIERRE LARROCHE COMPOSE UN SAVOUREUX JEU
Gwénola David

“Il nie appât défait sans qu’ose” : ce constat très “cartésien” de Jean-Pierre Brisset, facétieux philosophe-linguiste, auteur d’une réjouissante Grammaire logique et sacré “Prince des penseurs” en 1913 par son ami Jules Romains. donne le ton du spectacle délicieusement concocté par Jean-Pierre Larroche. Cet architecte de formation. passé au théâtre depuis presque vingt ans, a l’imaginaire aussi fertile que malicieux et maîtrise l’art de se jouer des objets comme des mots avec une ingéniosité bien taquine.

À distances rassemble sept pièces brèves qui s’enchaînent comme autant d’expérimentations de dispositifs insolites minutieusement élaborés. Tantôt c’est un petit castelet mécanique commande par un faisceau de fils qui se met à produire d’étranges bruitages, tantôt ce sont les éléments du décor qui soudain s’affaissent sous le poids d’une plume qui enclenche un engrenage de causes et d’effets. C’est encore une armoire à phonèmes, remplie de figurines représentant des mots d’une syllabe qui servent à composer des charades pour découvrir les vers de Shakespeare. Et de tout ce fatras savamment désordonné surgit un petit bonhomme filmé qui s’échappe de la pellicule pour vadrouiller à sa guise.

S’étonner du monde. Guidé par son complice Thierry Roisin, Jean-Pierre Larroche manipule, découvre, essaie, observe., il s’amuse, invente de savoureuses contrepèteries visuelles et sonores, glisse ça et là des phrases de Paul Valery et de Jean-Pierre Brisset. Discrètement, il tire les ficelles, déclenche des micro-événements qui viennent bouleverser l’ordonnancement des choses. Ses surprenantes expériences questionnent la logique, montrent la conjonction des hasards, la fragilité des équilibres, l’étrangeté des causalités… la poésie nichée dans les creux du réel. Chaque séquence est un étonnement, un florilège de trouvailles d’une spirituelle cocasserie. ” un poète est un monde enfermé dans un homme ” disait Victor Hugo. Jean-Pierre Larroche en est un. c’est sûr !

Aden - 29 janvier 2003

JEAN-PIERRE LARROCHE :  “J’AIME LES CATASTROPHES”
Hugues Le Tanneur

Dissimulé dans l’ombre, il tire les ficelles. Ses mains seules apparaissent, maniant un réseau de fils tendus qui oscillent dans l’obscurité. A distance, elles actionnent un mini théâtre situé à l’avant-scène. Gèrent de délicates opérations d’objets industrieux dont les mouvements produisent des bruits suggestifs Bientôt, l’œil concentré sur Ces micro événements découvre un champ plus vaste. C’est un grenier un capharnaüm encombré de tour et n’importe quoi. Des tabourets, par exemple, sur lesquels ont été entassées des assiettes. Voilà qu’ils se mettent à vivre, s’affaissent, se relèvent se jouant de l’équilibre, au bord du dérapage fatal. Un véritable numéro de tabourets savants ! Un peu plus tôt, on a pu lire sur un écriteau cette phrase énigmatique : “Consolider la surprise”.

C’est le titre de l’une des séquences de ce spectacle, qui en compte sept. Intitulé À distances, il se déroule comme une série d’expérimentations, d’incursions aventureuses dans un monde à la fois proche et étrange imaginé par un bricoleur fou. “Au départ ce n’est pas du tout du bricolage, remarque Jean Pierre Larroche, concepteur et acteur de ce spectacle mis en scène par Thierry Roisin. C’est très réfléchi au contraire.”

Jean-Pierre Larroche aime fabriquer des accidents. Balistique, Kabbalistique, son art façonne le temps et l’espace en les soumettant aux effets de surprise, créant stupeur et fascination. “Ce qui m’intéresse c’est la catastrophe. Comme dans le burlesque, cela m’amuse de créer une causalité bizarre où les effets interviennent avant les causes. De l’accident naît le temps.”

Placé sous la double inspiration de Jean-Paul Brisset et de Paul Valéry, le spectacle joue aussi sur l’opposition entre distance et intime. Ou encore sur ce point aveugle où le moi se projette mais ne s’atteint pas. Cela consiste par exemple à coller son visage contre un miroir pour, les deux mains armées de pinceaux, esquisser son autoportrait sans voir ce que l’on fait. Plus étrange est cette projection d’une image réduite de l’acteur sur un tas de glaise que ses mains vont ensuite façonner. Cet homoncule qu’un doigt suffirait à écraser semble mener sa vie propre. On le dirait droit sorti d’un rêve.

C’est la première fois que Jean Pierre Larroche interprète un de ses spectacles. Architecte de formation, c’est indirectement que Jean-Pierre Larroche est venu au théâtre. Il a commencé par être décorateur, travaillant notamment avec Philippe Genty, Étienne Pommeret ou George Appaix. Bientôt il s’amuse avec les objets qui traînent dans son atelier. Par jeu, il crée des spectacles où il invite ses amis. On l’encourage, il se lance avec des créations où il y a peu de textes mais beaucoup d’objets et de manipulations. Installé pendant une dizaine d’années à la friche de la Belle de mai, à Marseille, il peaufine son art. “D’un spectacle à l’autre s’est développée l’envie de fabriquer des aventures pour le regard. Cela joue sur l’apparition et la dissimulation, mais aussi sur la relation qu’un acteur entretient avec les objets. Pour moi, c’est assez proche de ce qui se passe pour un musicien avec son instrument. C’est un plaisir d’essayer de comprendre comment on déplace un objet de loin avec un fil. Dans cette distance entre l’acteur et le résultat de son action, il y a une immense satisfaction. C’est un territoire très riche dans lequel il y a une infinité de pistes à explorer.”

L'Humanité - 21 janvier 2003

APRES LE SAISISSEMENT, VIENT LE RAVISSEMENT
Aude Brédy

Magie en demi-teintes et art maîtrisé de la maladresse caractérisent “à distances”. Voilà un spectacle un peu rebutant, à son tout début. Mais loin de se réduire à une forme alambiquée, il se mérite. Dans un atelier situé au milieu des bois, de la lenteur, Jean-Pierre Larroche et Thierry Roisin ont rêvé sept perles insolites, au sens surréaliste et donc dilaté, attentif, de l’adjectif. Après le bref saisissement, ils font jaillir la sensation au creux du mobilier, de l’objet trivial. Entre bricolages un brin scientifique et animisme troublant, se dit-on, le tout s’irisant souvent d’une autodérision touchante, visiblement peu travaillée. Le décor est banal, drôlement : côté couloir, des planches scolaires d’animaux préhistoriques entourées de menus miroirs ; côté scène, un panneau blanc, puis des tabourets à foison, des lampes… Le tout rangé, si chambardement il y eut, par un laquais aussi taciturne que son maître.

Dans ce spectacle chiche de mots, les sons, en douce d’abord, font sens. Pour exemple, la séquence intitulée “Le bruit que les mots disent”. Hormis ceux-là, écrits, de mots il ne sera pas proféré. Un mécanisme composé de poulies, de tiges de fer ou de godets d’eau les supplante. Aux commandes, ou plutôt aux ficelles, Jean-Pierre Larroche, tisserand des sons, tire savamment sur de longs fils croisés, à distance du dispositif, abasourdi par le résultat : ce bruit des mots n’en est que la rumeur, peut-être l’écume des conversations laissé dans l’inconscient. Un roulis verbal rehaussé de pics vocaux aigus ; des sons sifflant la noyade du sens dans l’abondance sonore. Une séquence singulière, même si on lui préfère “Considère la surprise” (d’après un extrait du Journal de Paul Valéry) pour son surcroît d’irrésistible tension, presque un suspense. Avec circonspection, Jean-Pierre Larroche y tire encore des ficelles, celles de la vulnérabilité de l’équilibre. Des ficelles attachées, à leur extrémité, aux pieds de tabourets où s’empilent des assiettes. Le comédien tire sur les fils comme pour animer des marionnettes ; la mine, les gestes empreints d’hébétude, il semble vouloir fractionner l’instant de la chute des assiettes, comme désireux d’analyser cet inévitable, ce choc, cette “coupure !”, dira Valéry. De cet art maîtrisé de la maladresse procède notre attention, nos attentes tendues vers la surprise : l’assiette vole en éclats, le tabouret vacille sur ses pieds tel un faon à ses premiers pas. Et vers la retentissante catastrophe, mot à l’étymologie grecque éloquente : ” ce qui vient après “.

Après cela, ce sera, entre autres, des “Figures” : un autoportrait au pinceau, en couleurs puis noir et blanc : au milieu de l’immense papier blanc, Jean-Pierre Larroche a posé un miroir de camping que son reflet fuit, tant le peintre donne latitude, rythme aux mouvements de ses bras qui tracent un visage évoquant ce désouvrement cernant certains regards peints par Bernard Buffet. Mais plus que le portrait, c’est l’ampleur de ses gestes sensuels, le déploiement de son corps devant la toile qui révèlent cet artiste. Une autre séquence où il modèle l’image de son double lilliputien, et vindicatif, projeté sur un bloc de patte à modeler, n’a pas lassé de nous troubler… Bref, si dans À distances la magie ne s’annonce pas comme telle, le ravissement surgit.

Le Télégramme - 08 avril 2002

JEAN-PIERRE LARROCHE MAITRE DES OBJETS
E. F.-D.

Après Journal de bois, Prières, et une belle série de scénographies, Jean-Pierre Larroche a présenté, vendredi soir, à l’atelier du Théâtre de Cornouaille, À distances, un théâtre d’objets mis en scène par Thierry Roisin.

Cette nouvelle création est comme toutes les pièces de Jean-Pierre Larroche, un véritable régal. Pour la première fois, cependant, cet habile et imaginatif “manipulateur” est sur scène.

Il s’apprête à tirer les très nombreuses ficelles qui le relient à une foule d’objets qui, sous ses doigts habiles, vont se mettre en marche. À distances porte magnifiquement son nom. Du fond de la scène, Jean-Pierre Larroche allume une bougie, déclenche une poulie, fracasse une pile d’assiettes. Il tire sur un fil invisible, et l’eau coule d’un minuscule pot, tandis que, plus loin, un coucou chante, une feuille s’envole… Ainsi va la vie, semble nous dire Jean-Pierre Larroche, Notre vision des choses de la vie est toujours incomplète. L’inattendu peut surgir et contrarier nos certitudes, dévier le cours que l’on pensait normal de notre existence.

Le comédien entraîne le public, sur le ton de la comédie, dans un univers amusant et drôle. Parle-t-il du temps ? Une grosse pelote de ficelle rouge se dévide, une paire de ciseaux acrobatiquement suspendue coupe tous les fils reliant de précieuses machineries. Rien ne dure, tout se fracasse… La scène a d’ailleurs des allures de capharnaüm.

Jérémy Garry, valet stylé de ce monde en mouvement, ramasse les morceaux, souffle la bougie qui vient de casser la vitre, pose lentement une carafe, un verre sur une longue planche de bois. Son allure posée, calme et tranquille, contraste en permanence sur agitation créée par Jean-Pierre Larroche.

En huit tableaux, tout en évoquant Paul Valéry et sa théorie des choses qui changent, le comédien tente de découvrir la partie cachée d’un monde “plein de surprises qu’il essaie de contrôler”.

Toutes ces “expériences” déchaînent les rires, le public n’est pas prêt d’oublier les mille et unes aventures de celui qui, en tirant les ficelles, dresse son autoportrait.

Photos du spectacle

 

Vidéos

Teaser du spectacle (in English)

Pages d’un traité d’action à distance

 

à Distances en Afrique

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