PROLIXE

Une installation et expérimentation des reliques de Sainte Prolixe.

Avant qu’elle souffrit la décollation en 1150 apr. J. C., Prolixe déclara à ses bourreaux quelle ne cesserait jamais de prononcer les mots qu’elle avait dans la tête.
Aussitôt son martyr exécuté, Prolixe prit sa tête entre les mains et parla sans s’arrêter jusqu’en 1187.
La tête disparaît alors pour longtemps et on ne la retrouvera jamais tout entière. Seuls des fragments authentifiés – retrouvés dispersés et qui nous ont été confiés – attestent aujourd’hui du martyr de la Sainte.
Comment recoller tous ces morceaux ?
Que se passait-il dans la tête de Prolixe ?
Quel souffle la traversait ?
Peut-on la faire parler à nouveau ?
Ce sont les questions que nous nous posons et que nous mettons en jeu dans cette courte présentation des Reliques Partielles de Sainte Prolixe.

Prolixe est une sorte de cabinet de curiosité, un spectacle de 45 minutes pour une cinquantaine de spectateurs maximum. Il est interprété par deux acteurs manipulateurs et une collection de dispositifs visuels et sonores.

Prolixe a été créé en janvier 2004 à la Scène Nationale de Melun Sénart pour une dizaine de représentations données dans des lieux très divers comme le centre de détention de Melun, l’IUFM (centre de formation des maîtres) de Melun, un centre hospitalier, ou chez des particuliers. Une installation théâtrale déambulatoire, Promenade de têtes perdues, a été créée en 2005 dans le prolongement de Prolixe.

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Prolixe

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par Michel Musseau

Équipe

Jean Pierre Larroche, écriture et réalisation
Benoît Fincker, conception et réalisation technique
Natacha Zaranis et Mickael Chouquet, acteurs-manipulateurs
et la voix d’Émile Larroche

Textes de Léo Larroche

avec la collaboration de :
Pascale Hanrot et Jeanne Gailhoustet – plasticiennes
Michel Musseau – compositeur
Jacotte Sibre – costumière
Katy Lebrun – décoratrice
Gérard Pistillo – construction
Nicolas Diaz – sculpteur
Nathalie Quintane a participé à l’écriture des textes

Géraldine Buon de Bazelaire – chargée de production et de diffusion

Partenaires

Prolixe est une coproduction de la compagnie Les ateliers du spectacle et de la Scène Nationale de Melun Sénart.

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site de Jean-Pierre Larroche

ProlixeDevise1

Photos du spectacle

Extraits du Récit de Prolixe

(ces fragments ont été traduits et réunis par Léo Larroche)

Prolixe vivait dans le département de la Drôme (qui ne l’était pas encore au IVe siècle, mais une province demi romaine). C’était la dernière née d’une famille de huit enfants. Son père, qui était l’homme qui l’avait recueilli au bord d’un étang ; on raconte que Prolixe resta pendant plus de cinq jours dissimulée au milieu des roseaux.

Exaspéré par les cris et les babillages des petits, avait décidé d’accorder à chacun un temps de parole limité, une fois par jour, à heure fixe.

Prolixe ne pouvait parler qu’en revenant des champs pour ensuite se taire jusqu’au dessert. Prolixe intériorisa très tôt l’interdit et dès ses trois ans, elle ne posa les question habituelles aux enfants de cet âge (qu’est-ce que la poussière ? pourquoi est-ce que j’ai des cheveux) qu’autour de dix-huit heures. Quelle meilleure manière (méthode) pour obliger un enfant à la pertinence ? A ce propos, on ne sait toujours pas quel fut le premier mot articulé par Prolixe La jeune fille grandissait et il suffisait de la surprendre à l’heure dite pour être ébloui par sa capacité de réflexion et le génie qu’elle avait à dénouer n’importe quelle difficulté de pensée.

La plupart du temps, Prolixe donnait des conseils. Des conseils très avisés.

Un jour, Prolixe rencontra un paysan qui rentrait ses vaches à l’étable. L’une d’elles avançait plus lentement et plus pesamment que les autres, gênée par la lourdeur de ses mamelles. Le paysan entra dans une grande fureur, injuria, frappa la vache. Prolixe avait tout vu.

Non, elle avait tout entendu et n’avait rien pu voir car la scène se déroulait dans le creux d’une butte.

Elle s’approcha alors de l’homme et lui parla en ces termes : « Vois comme tu maltraites cet animal. Écoute ma bonne parole : elle doit être soulagée de son lait ici même et pas ailleurs » Une autre version de la légende a été écrite par le moine Bessarion. Selon lui, voici quelles auraient été les paroles de Prolixe : « Si tu n’es pas capable d’entendre la souffrance de cet animal, tu ne sauras pas ce qui arrive alors à son lait : il tourne dans ses mamelles et se change en beurre. » Cette phrase prophétique serait à l’origine de l’un des attributs de Prolixe, la motte de beurre. La langue de la vache (ou langue de bœuf) lui appartient également.

Prolixe parlait-elle latin ? ou grec ? que parlait-on dans la Drôme au xii e siècle ? Finalement, cela n’est pas très important. Il nous reste, ça et là, les paroles de Prolixe, retranscrites par les moines des couvents de Differdange, de St Alyre et d’Izama. Prolixe est une sainte méditerranéenne : sa langue est celle des dialectes et des patois parlés entre la Provence et les rivages de la Turquie. Quelle surprise de découvrir, dans un manuscrit portugais du XVe siècle, une formule savante qu’on ne peut pas hésiter à lui attribuer : « Langue morte, et pourtant large et saignante »

Épouvanté, le paysan se penche sur les pis de la vache et s’exécute. Arrive un soldat affamé qui ordonne qu’on lui donne le lait .

Le soldat s’appelait Thibaut Tristebourses dit « Pas de bol ». Ses seuls biens étaient son casque qu’il avait fauché sur la dépouille d’un colonel et qu’il ornait d’une grande plume rouge, quatre pochettes de cuir accrochées à sa ceinture et une serpette. Il avait pris pour habitude de ne jamais se laver, ce qui lui donnait un aspect déplorable : les yeux globuleux, les dents gâtées, le gilet de cuir troué et tâché, le pantalon bouffant couvert de boue. De ses larges mains sortaient des doigts démesurément longs et noueux qu’il agitait lentement sous le nez des gens. Il se déplaçait rapidement et parlait vite. Après le martyr de Prolixe il tomba sous le châtiment du mutisme stupide.

Le malheur fut (était) que Prolixe parlait et discourait sans cesse sur de nombreux sujets, qu’elle fit voir au soldat que la vache n’était pas à lui, que Rome n’avait pas le droit de prélever de la nourriture hors les taxes mensuelles, et alors le soldat ordonna à Prolixe de se taire, mais Prolixe parlait toujours, et d’un coup d’un seul il lui coupa la tête avec sa serpette. : ce qui est étrange ; il est plus probable qu’il ait du recommencer deux ou trois fois si on considère que les cordes vocales de Prolixe étaient très entraînées.

C’est alors que le miracle se produisit : Prolixe se releva, alla à l’aveuglette chercher sa tête elle n’avait plus d’yeux pour voir mais seulement une bouche pour parler

– qui n’avait cessé de protester de l’injustice qui lui était faite -, la prit sous son bras ; et le plus étonnant était que la tête parlait toujours, qu’elle marmonnait des malédictions, qu’elle prédisait le pire

qu’elle souriait de joie et que dans un grand éclat de rire elle dit bonsoir au monde.

qu’elle parla dans une langue que personne ne comprit

que les mots qu’elle prononça furent : « Gesu, guarda le lacrime sanguinose di quella, che ti ha amato piu di tutti quaggiù e ti ama intimamente nel cielo… ».

C’est alors qu’elle annonça le règne de sa parole.

Il est effectivement d’usage d’invoquer Prolixe lorsqu’on a un mot coincé au bout de la langue. Tous les mots libérés par Prolixe au cours d’une journée, tous ces mots lui parviennent de toutes parts, s’accumulent et font pression sur sa langue et finalement se déversent au cours de ses 15 minutes de parole journalière.

On raconte qu’elle disparut dans un rayon de soleil déclinant, et que depuis, chaque jour vers dix-huit heures, elle apparaissait dans divers endroits – tel que les lavoirs, l’entrée de l’église, les étables, ou en plein champ -, sa tête fermement tenue et discourante.

Au début elle n’apparaissait que dans la Drôme. Petit à petit, elle se déplaça vers l’est, elle traversa les Alpes, elle passa par les villages du Piémont, elle parcourut toute l’Italie du Nord. Après elle visita la Croatie. Elle s’y arrêta longtemps, on ne sait pas pourquoi. Sur la carte Prolixe ne semble avoir pas suivi d’itinéraire réfléchi, car on remarque que ses déplacements font des boucles et sont incohérents. A plusieurs reprises elle est revenue en arrière. Apparemment, elle a suivi deux routes : l’une au Nord, en traversant la péninsule balkanique, l’autre au Sud, le long des 1 500 km de côtes croates. Il faut rappeler que Prolixe n’avait pas la tête sur les épaules : c’est pourquoi plusieurs penseurs ont émis une hypothèse, qu’étant donné la séparation entre d’un côté le corps de Prolixe, de l’autre sa tête coupée, il est possible que les deux aient empruntés des chemins différents , sans que cela soit un hasard, encore mieux : ils l’avaient sûrement prévu. D’ailleurs ils se sont retrouvés. Tous leurs efforts ne tendaient que vers un lieu, un lieu mythique que l’on n’a pas encore découvert, mais qui se trouve, sans hésitation possible, en Grèce.

Sainte Prolixe selon ses fidèles

Revue de presse

La Marseillaise
PROLIXE
Julie Vandal

Du théâtre. Et bien plus que du théâtre: un voyage entre rêve et réalité, entre l’objet et la question existentielle Avec Prolixe, Jean Pierre Larroche signe un spectacle de génial bidouilleur, cocasse et étourdissant. Enivrant et pour longtemps.Prolixe, la bonne parole. Prolixe, sainte martyre décapitée qui fit des apparitions dans la Drôme puis un peu partout en Europe de manière anarchique, parce que sa tête était séparée de son corps et que, de fait, la dame « n’avait plus la tête sur les épaules» pour faire les choses avec logique.

(…) Jean Pierre Larroche, Benoît Fincker et la troupe des Ateliers du Spectacle construisent une fois de plus un univers délirant où l’héroïne décédée reprend vie à travers des reliques en tous genres, et où sa parole qui était incessante se fait écho via un transcodeur branché sur les quatre parties de sa boîte crânienne, tandis qu’un savant fou vêtu d’un grand manteau de trappeur s’attache à reconstituer le puzzle de 1500 pièces des traits changeants de la dame.Une histoire rocambolesque… produit de l’imaginaire foisonnant du créateur de A Distances. Une histoire sans queue ni tête… peuplée de machines à faire chuter les mots, de crânes minuteurs prêts à exploser, de corneilles plus bavardes qu’une pie et d’objets abracadabrants …

Le grand scénographe bidouilleur opère en génie, et l’on regarde émerveillés, les yeux écarquillés tout grands, les oreilles capturées… Oui, c’est bien ça: les grands enfants parlent aux enfants. Connexion établie. Message poétique reçu. Mille mercis.

 

Cultes et attributs

Des fragments authentifiés de la tête de Sainte Prolixe ont été retrouvés, en particulier dans la Drôme, mais également en Corrèze, et jusqu’en Norvège (les deux incisives et une partie de la mâchoire sont encore visibles dans une chapelle près de Björjn).

Les yeux de Prolixe, par glissement, ont parfois servi au culte de Sainte Lucie.

Il y a, évidemment, un nombre considérable de langues de Prolixe, et une seule oreille.

Des cheveux de Prolixe, utilisés pour boucher le vin de messe pendant trois décennies, sont révérés une fois l’an à six heures dans la Manche.

Protectrice des avocats et des démonstrateurs (marchés, foires), Prolixe est devenue, par extension, la sainte protectrice des otites (lat. otitarum curatio) et des caries (caries curatio).

Par antiphrase et uniquement en Corrèze, elle protège les muets et les bègues.

Prolixe serait à l’origine d’un certain nombre de cas de guérison d’amnésie.

Plusieurs récits font état de témoins, frappés par l’arrangement de ses traits, qui auraient brusquement recouvré la mémoire.

Le plus célèbre de ces récits est celui de Pierre Ramoneur de Pétrarque :

De longues semaines après la disparition de Pierre Ramoneur, un de ses compères se souvint subitement – à la vue de Prolixe – des circonstances de l’accident à l’origine de cette absence inexpliquée. Pierre Ramoneur était tombé au fond de son puits en y jetant un œil… et le compère avait perdu la mémoire en assistant au drame. Il retrouve Pierre qui survit encore dans le puits et consacre alors sa vie à l’édification d’une chapelle dédiée à Prolixe.

Tous ceux qui s’embrassaient à l’heure précise où Prolixe apparaissait avaient la langue qui enflait démesurément. Elle pouvait atteindre alors des proportions gigantesques. Il n’y avait qu’un seul moyen d’empêcher l’éclatement des tissus : gratter la surface de la langue d’une statue de Prolixe et utiliser en tisanes la décoction obtenue.

Des images pieuses de Prolixe dans de nombreux couvents (également très appréciées dans les monastères où des reproductions circulaient sous la soutane…) étaient destinées à délivrer celle qui, ne pouvant se souvenir d’un mot ou d’un nom ou d’une date, ne parvenait pas à retrouver le calme par la prière. Un signe de croix devant l’image de Prolixe, déliait le mot rebelle coincé sur la langue de la nonne.

Depuis il est d’usage d’invoquer Prolixe quand on a un mot au bout de la langue.

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